N’est-il pas indécent – oui, indécent ! – de se réjouir et de faire la fête quand il y en a tant qui pleurent et qui désespèrent ? Indécent quand, en ce jour même de Pâques, des familles entières pleurent un des leurs, victimes de l’attentat de mardi, alors que tant sont blessés dans leur chair et dans leur coeur ! Alors qu’il y a tant de malades, en phase terminale, et qui n’en peuvent plus de souffrir ! Indécent quand nos frères et sœurs chrétiens d’Irak et de Syrie sont condamnés à mort ou à fuir en perdant tous leurs biens.
Si tant de drames et de scandales déchirent notre monde et nos cœurs, devons-nous simplement nous taire ? N’y a-t-il d’autre issue que la désespérance, que l’oubli ou la révolte ? N’est-il pas, au contraire, plus urgent que jamais, de proclamer la joyeuse Nouvelle de la Résurrection de Jésus ? Non pas par manque de respect vis-à-vis de ceux qui sont dans l’épreuve mais, au contraire, pour leur offrir réconfort, espérance et paix.
Je n’aime pas les alléluias de Pâques lorsqu’ils sont triomphants, lorsqu’ils oublient, comme si de rien n’était, le vendredi saint de tant de nos contemporains. Il nous faut être humble, modeste et risquer aujourd’hui une parole comme cette fragile lumière que nous venons d’allumer dans la nuit.
A cause de ce que Jésus a vécu en ce vendredi de la condamnation injuste, de la torture et de la violence – qui était un règlement de compte – à cause de cette mort qui était la conséquence de ce qu’il a vécu comme solidarités, comme gestes et paroles prohétiques, elle l’associe à jamais à tous les souffrants et les mourants de notre temps.
Alors, plus il y a de raisons de se lamenter et de désespérer, plus il est urgent, me semble-t-il, de transmettre son message d’espérance. Et quel est-il ? Lui qui a épousé le tout de notre vie, jusqu’à la souffrance et la mort, en profonde communion avec ceux qu’il a aimé jusqu’au bout, si le Père ne l’a pas laissé définitivement derrière la pierre du tombeau, mais l’a rendu à la vie, c’est du côté de la Vie, qu’il nous faut regarder. Et pas seulement pour demain – après la mort, parfois c’est un discours trop facile – mais dès aujourd’hui, dans l’aujourd’hui du monde pour les hommes et les femmes, nos frères et soeurs.
Si proclamer Jésus ressuscité est, pour le chrétien, l’Espérance suprême, elle nous concerne, comme elle concerne tout être humain… Si le Christ est ressuscité, s’il est vraiment victorieux du mal, de la souffrance et de la mort, aucune situation n’est définitivement fermée, aucune voie sans issue, aucun drame irrémédiable. Telle est notre foi et notre espérance. Bien sûr, elles ne supprimeront pas les épreuves ou les questions. Mais elles peuvent lui donner un éclairage nouveau, une autre lumière.
Pâques, c’est un chemin d’espérance qui s’ouvre pour tous, parce que nous croyons qu’avec le Christ Jésus, rien n’est définitivement perdu. Parce que nous croyons que s’il est désormais vainqueur de toute injustice, de tout mal et de toute mort, il nous entraîne avec lui dans le combat pour la Vie. A croire cela, comment alors ne pas devenir à notre tour des artisans de ‘résurrection’ ? C’est-à-dire des artisans de miséricorde et de réconciliation, de justice et de paix, pour nos frères qui vivent leur vendredi saint. Artisan de Pâques en notre temps.
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