« François, le Pape qui marchait pieds nus dans la poussière du monde … »

“François, le Pape qui marchait pieds nus dans la poussière du monde.
Il n’avait ni la voix de tonnerre des empereurs, ni la crosse dorée des prélats qui ont oublié le bois de la croix. Il avançait miné par la maladie, boitant du pied droit, un peu voûté, l’âme chargée de fatigues anciennes, mais toujours debout. Dans son regard passaient, tour à tour, les stigmates d’Assise et les rages silencieuses d’un évêque du Sud qui avait vu trop de misère pour croire encore aux dorures du Vatican.
Jorge Bergoglio est mort. Et c’est le monde qui pleure.
Mais que l’on s’entende : ce matin, ce n’est pas l’institution que je pleure, c’est l’homme – celui qui a osé dire que l’Église n’était pas un musée, que le Christ n’était pas une icône figée, ni un fantôme d’encens, mais un vivant, un errant de nos marges, un souffle qu’il fallait traquer dans la chair blessée des oubliés.
Hier encore, dans sa dernière homélie pascale, il lançait à la foule des nations cette vérité nue :
« On ne peut pas faire de Jésus un héros du passé, ni l’enfermer dans un tombeau. Il faut sortir pour le chercher, dans nos vies, sur le visage des frères, dans le quotidien. »
Et lui-même avait cherché, cherché sans trêve ni repos.
Il avait cherché les sans-papiers, ces ombres des frontières, ces silhouettes dérobées aux lois, ces hommes et ces femmes sans nom, qu’il appelait les visages de Dieu en exil. Il les avait embrassés, non du haut d’un trône, mais à genoux, dans la boue de Lampedusa, là où il avait laissé battre son cœur comme une offrande. Il avait demandé pardon pour nos silences, pour notre indifférence.
Il avait cherché les enfants défigurés par l’Église elle-même, ces enfants violés dans leur silence par des mains sacrilèges qui prétendaient pourtant bénir. Et il avait dit — non pour se disculper, mais pour répondre à l’appel du juste : « La vérité avant l’institution. La douleur avant le scandale. »
Ce n’était pas un pape de protocole. Il était un homme debout dans les ruines, un homme qui nommait les crimes et qui pleurait avec les victimes.
Il avait cherché notre pays mille fois crucifié et auquel il envoyait ses prières comme des bateaux de papier. Il disait souvent, dans le secret des audiences : « Priez pour Haïti, elle est la plaie et la promesse du monde. » Il n’oubliait jamais. Surtout pas les pays que les « grands » de ce monde avait sciemment décidé d’oublier. Il les portait dans sa prière comme on porte une douleur dans la paume : discrètement, obstinément, avec cette tendresse grave qui ne fait pas de bruit mais qui sauve.
Il avait cherché la Terre, non comme un jardin d’Éden à contempler, mais comme une sœur qu’on asphyxie. Dans Laudato Si, il avait fait entrer l’écologie dans la langue des prophètes. Il avait parlé des arbres comme d’une lignée blessée, de l’air comme d’un droit volé. Il avait donné au ciel une voix. À l’eau, une mémoire. À la poussière, une dignité. Il avait rendu l’oxygène théologique.
Enfin, il avait cherché Dieu dans le tumulte — dans le silence des veuves, dans la colère des jeunes, dans l’amour de ceux qu’on ne nomme pas, qu’on n’invite pas à la table. Il refusait les logiques de palais. Il écoutait avant de condamner. Il bénissait avant de juger.
Il a toujours été un pasteur avant d’être un prince. Un homme avant d’être un dogme. Et maintenant qu’il est tombé dans le silence, que faire sinon crier au ciel : Santo Subito!
Oui, tout de suite, tout de suite, qu’on le déclare saint ! Car il n’a pas attendu la mort pour vivre selon les Béatitudes. Il a marché sur les pas de l’Agneau avec les pauvres, pleuré avec les affligés, eu faim et soif de justice.
Qu’on écrive son nom non sur une pierre, mais dans la mémoire des peuples. Qu’on le grave dans la chair du monde. Et qu’à son exemple, nous reprenions la route — pieds nus, mais le cœur ardent. Que sa très, très belle âme repose en Dieu!”
Daniel Gérard Rouzier

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