Homélie – 2ème dimanche de Carême – Abbé Fernand Stréber

Du visage  transfiguré au visage défiguré et inversement
ÉVANGILE ( Lc 9,28b-36)

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.

Homélie

Les amateurs de Tintin se souviennent peut-être de l’album « Le trésor de Rakham le rouge ».  L’objet du suspense de l’histoire, c’est de retrouver trois parchemins qui, une fois réunis et superposés à une forte luminosité, révéleront le lieu exact où le trésor est caché.  N’est-ce pas un peu le même scénario que nous retrouvons dans l’Evangile d’aujourd’hui?

Dans ce récit ressortent deux épisodes de sa vie dont la similitude est plus qu’évidente et c’est en les superposant que nous pouvons trouver le vrai visage de Jésus.  Ces 2 épisodes sont la transfiguration (Lc 9,28b-36) que nous venons d’entendre  et l’agonie de Jésus à Gethsémani (Lc 22,39-46) que nous lirons le jour des rameaux (une semaine avant Pâques). 

Dans l’épisode de la Transfiguration, Pierre, Jacques et Jean (1) sont invités par Jésus à venir prier (2) sur la montagne (3).  Ils sont accablés de sommeil (4).  Restant éveillés, (5) ils voient la gloire de Jésus (6) à tel point qu’ils proposent de s’y installer.

Si nous tournons maintenant quelques pages de l’Evangile (dans le récit de l‘agonie du Christ à Gethsémani (Lc 22,39-46) nous retrouvons les 3 mêmes disciples (1). A nouveau ils suivent Jésus pour aller prier (2) avec lui sur une autre montagne (3) « le mont des oliviers ».  A nouveau ils sont accablés de sommeil (4). Cette fois encore ils sont réveillés (5) par Jésus, non plus avec un visage illuminé radieux mais un visage défiguré par la souffrance (6).  La différence est qu’ici les disciples n’ont plus envie de s’installer mais de décamper à toutes jambes.

Pierre se souviendra longtemps de ces deux expériences, de ce visage de cet homme qui s’appelle Jésus, ce visage avec les traits tirés de celui qu’on poursuit sans relâche parce qu’il fréquente celles et ceux qui ne sont pas fréquentables. 
Pierre se souviendra longtemps de ce visage trempé des sueurs de l’agonie, de cette face couronnée d’épines.

Mais Pierre se souviendra aussi du jour où il s’est réveillé en haut d’une montagne lorsque le visage de cet homme Jésus apparut resplendissant de la lumière divine.  Une tradition ancienne dit qu’il s’agit du mont Thabor parce qu’il est proche du centre des activités de Jésus.  Mais les Evangiles ne le mentionnent nulle part.

Pierre se demandera aussi lequel de ces 2 visages est vraiment le visage de Dieu ! Et Pierre découvrira en les superposant à la lumière de l’Esprit, le visage de l’homme et le visage de Dieu, comme s’ils ne faisaient qu’un.

Ne sommes-nous pas un peu semblables à ces disciples qui essayent de suivre Jésus sur la montagne de la transfiguration ? Comme eux il nous arrive de somnoler.  Comme eux nous avons envie de nous installer loin des soucis de la plaine, loin des ennuis, loin de la souffrance… et de rester là dans la contemplation de Dieu, dans l’extase.

Mais cette expérience n’est pas complète.  Il nous faut aussi le rencontrer sur le mont des oliviers et y reconnaître le visage de Dieu.

Le temps du carême n’est-il précisément le temps de ce réveil, le temps de reconnaître le vrai visage de Dieu, à travers le visage des femmes et des hommes d’aujourd’hui ? N’est-ce pas le temps de travailler pour que ces visages tirés, souffrants, défigurés se transfigurent en visages rayonnants, illuminés de bonheur ? Alors seulement Pâques retrouvera son sens plénier, lorsque toutes les femmes et les hommes se relèveront avec un visage de ressuscité.

Pt’it rawett’ – HISTOIRE DE JULIETTE

Un jour, la marraine de Juliette un petit bout de 4 ou 5 ans, lui a acheté une robe verte pour le dimanche.  La petite était tellement ravie qu’elle ne voulait plus quitter sa robe verte, pas même pour aller au lit.

Mais ce n’est pas tout. Un autre jour, sa marraine lui a tricoté une robe en laine du pays, jaune et blanche pour la semaine.  Juliette était tellement joyeuse qu’elle a voulu mettre les deux robes à la fois! Et pas moyen de lui ôter cette idée de la tête.

Au fond, nous le savons bien. Le vêtement, c’est beaucoup plus qu’une manière de lutter contre le froid.  Lorsqu’après un travail ou avant de sortir nous disons : « Je vais me changer » n’est-ce pas une volonté de fête qui s’affirme, un « ailleurs », une façon de se transformer et de prendre distance au cœur du quotidien?

Ce n’est pas un hasard si Jésus va « se changer » lui aussi pour se montrer à ses disciples dans des « effets » d’une blancheur éclatante.

Ils sentent bien que c’est dimanche, que Jésus n’est pas habillé comme en semaine, mais ils n’ont pas compris que leur maître « ne recevrait définitivement le vêtement blanc qu’après être passé par la mort » (José Lhoir).  Ils n’ont pas compris qu’après le manteau de lumière, il devrait porter « la robe de dérision », que de la montagne du Thabor, on voyait déjà le mont des Oliviers.

L’originalité du christianisme, ce n’est pas qu’il y a un vêtement pour la montagne et un vêtement pour la plaine, un habit du dimanche, à la messe, et un habit de la semaine.

L’originalité du christianisme, c’est, comme Juliette, de mettre les deux robes à la fois! Ce n’est pas impossible explique Gérard Bessière :La marraine a tricoté large: à travers les mailles de la robe de laine, on peut apercevoir la robe verte.

Il faudrait peut-être que dans la plaine de nos vies ordinaires, le Jésus de la Transfiguration illumine nos gestes quotidiens; qu’à travers les mailles de la robe de laine que nous portons au bureau, à l’usine, à l’école, à la maison, on puisse apercevoir quelque chose de la robe verte de l’Evangile.

Gabriel Ringlet – Extrait de Il était une foi (tôme 1) CRJC Liège)

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