Grâce à de petites histoires restées dans la mémoire collective, Jésus interpelle ses disciples.
Il nous invite, nous ses disciples d’aujourd’hui, à pratiquer aussi l’art du tamis.
Bonne entrée en carême qui commence mercredi.
Abbé Fernand Stréber
Première lecture « Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé » (Si 27, 4-7)
Quand on secoue le tamis, il reste les déchets ; de même, les petits côtés d’un homme
apparaissent dans ses propos. Le four éprouve les vases du potier ; on juge l’homme en le faisant parler. C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre ; ainsi la parole fait connaître les sentiments. Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 6,39-45
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces. L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »
Homélie
L’art du tamis
Dans l’évangile de ce jour Jésus s’adresse à ses disciples et donc par extension, à nous qui sommes ses disciples aujourd’hui.
Il raconte des mini- paraboles. remplies de sagesse qui invitent à la clairvoyance sur nous-mêmes. Ces petites histoires sont restées dans la mémoire collective. Par exemple, qui ne connaît pas l’image de la paille et de la poutre !
En vue de clarifier les choses pour ses auditeurs, Jésus oppose plusieurs binômes: Je les cite : le disciple et le maître, la paille et la poutre, le bon arbre et l’arbre pourri, le fruit pourri et le bon fruit, les figues et les épines, le raisin et les ronces, le cœur bon et le cœur mauvais et enfin l’Homme bon et l’Homme mauvais. Chacun-e est invité à prendre un peu de recul pour prendre conscience de qui se passe en lui (elle) et à méditer sur la teneur de ses propos.
A. La parabole qui ouvre cet évangile met en garde les disciples contre les faux maîtres. Il ne s’agit pas d’être naïfs et d’accorder sa confiance sans discernement. Pas plus qu’il ne s’agit pour ces mêmes disciples de s’ériger en maître en intervenant dans la vie d’autrui sans avoir travaillé sur eux-mêmes et pris acte de leur éventuel aveuglement. Pour atteindre cet objectif, une formation sérieuse donnée par de bons maîtres est indispensable. En effet, il existe des guides dans des partis politiques, des associations, des religions, des médias, des réseaux sociaux etc … qui sont persuadés d’être les seuls à connaître la route qu’il faut suivre et qui l’imposent. Ils ne voient plus que leurs certitudes. Pour donner échos à cette première parabole de l’évangile je vois aujourd’hui des guides aveugles qui détruisent des vies humaines physiquement, intellectuellement, psychologiquement et socialement. Le sommet, c’est que certains le font au nom de leur foi en Dieu, en Allah et d’autres abusent du pouvoir qui leur a été donné ou qu’ils se sont octroyé.
Méfions-nous donc de notre suffisance qui pense que nous n’avons plus besoin d’apprendre, plus besoin de nous former.
B . Être « bien formé » selon Jésus, c’est aussi avoir appris à ne pas juger. Le plus souvent en effet, quand une personne juge, elle regarde ce qu’elle voit en l’autre à partir de son propre point de vue. Elle use de critères tenant à ce qu’elle est elle-même, mais sans être critique par rapport à elle-même et qu’elle se pose en modèle. Elle n’a donc aucune garantie que son jugement est objectif et impartial. Au contraire, même. Et c’est pire encore quand elle croit pouvoir corriger l’autre en l’appelant « frère ». La parabole de la paille et la poutre suggère en caricaturant le comportement de celui qui est aveugle. Elle souligne l’injustice qu’il commet et le ridicule dont il se couvre.
C’est dans ce contexte que Jésus intervient en maître de sagesse. Il fait entendre ses considérations concernant le « dire » de chacun invitant par là-même à un tri qu’exprime si bellement l’image du tamis dans la première lecture (Si 27,4).
Un cœur bon produit un bon fruit c-à-d des paroles qui transmettent la vie à l’opposé des paroles qui « blessent ».
Les deux lectures formulent des conseils pour un bon usage de la langue, des yeux, (cités 6 fois dans l’évangile) des mains et de l’intelligence.
C . La dernière « parabole », celle de l’arbre et des fruits, invite l’auditeur à examiner les fruits qu’il produit lui-même. Un arbre ne peut porter que les fruits que la nature lui permet de produire. Et dans une même espèce, des arbres peuvent être meilleurs que d’autres, la qualité de chacun se reconnaissant à ses fruits. Il en va de même pour les Hommes, plus précisément pour leur « cœur », le lieu où mûrit leur réflexion et où leurs actions se décident. Dès lors, c’est l’agir concret, le comportement qui manifeste ce dont le « cœur » est plein. S’interroger sur les fruits produits à travers actions et paroles, voilà ce qui permet d’éviter l’aveuglement sur soi, source d’injustice envers les autres.
A la veille d’entrer en Carême, voici des paroles stimulantes qui nous proposent un chemin en trois étapes :
1 La formulation d’un jugement sur moi-même
2 Le choix du fruit que je laisse mûrir en moi, qui me fait vivre
3 et enfin l’expression de ce qui déborde de mon cœur et plus encore du trésor de mon cœur envers le frère (expression citée à 4 reprises dans la 2° parabole.
« Ce que dit la bouche c’est ce qui déborde du cœur » (V 45 c)
3 p’tits rawetts’
Les 3 tamis
Dans la Grèce ancienne, Socrate était reconnu pour sa sagesse. Un jour, le grand philosophe fut approché par une de ses connaissances qui courait vers lui tout excité.
Socrate, écoute ce que je viens d’apprendre sur ton élève Platon !
S’il te plait, calme-toi avant de parler, répondit Socrate, et demande-toi si ce que tu vas me dire passera trois tamis.
Quels tamis ?
Ce que tu as à dire au sujet de Platon, demande-toi : est-ce vrai ?
Je n’en sais rien , répondit l’homme, j’en ai seulement entendu parler.
Donc, tu ne sais pas, pour sûr, si c’est vrai ou non.
Non, je ne sais pas, répondit l’homme.
Socrate sourit :
Posons maintenant la deuxième question : ce que tu vas me dire est-il bon ?
Non, au contraire…
Donc, tu désires me dire quelque chose de mauvais au sujet de Platon sans être certain que ce soit vrai ?
L’homme commence à être un peu embarrassé.
Néanmoins, ta nouvelle pourrait passer le troisième test : ce que tu vas me dire va-t-il être utile ?
L’homme secoua sa tête négativement.
Donc, conclut Socrate, si ce que tu vas me dire n’est ni vrai, ni bon, ni utile, alors pourquoi me le dire ?
La sandale tombée du train
La scène se passe en Mauritanie, dans un train qui relie les villages du désert. Un jeune homme court et, en sautant sur le marchepied, perd une sandale. Le train prend alors de la vitesse, et, sans hésiter une seconde le jeune homme jette sa deuxième chaussure sur le bas-côté. Une seule sandale ne lui servirait à rien, pense-t-il, mais celui qui aura ramassé la première sera heureux de découvrir la deuxième !
Elisabeth Marshall
Ma poupée
Une petite fille n’a pour tout jouet qu’une vieille poupée sale et mutilée. Quelqu’un lui fait remarquer :
– Comme ta poupée est laide !
Elle prend la poupée sur son cœur, l’embrasse et, la tendant à son interlocuteur, lui dit :
– Maintenant, elle est jolie, n’est-ce pas ?
Henri Caffarel in Prière intérieure, p. 95, Ed. Épiphanie, BP 724, Limeté (Kinshasa)