Au milieu des 12 apôtres, son Eglise d’alors, Jésus a mis un enfant.
Puissions-nous encore aujourd’hui mettre, au centre de notre Eglise, au cœur de nos préoccupations,
les enfants, les malades, les bouches inutiles, les rejetés, les accablés de notre société de consommation.
Abbé Fernand Stréber
Nivellement par le bas ? – Évangile (Mc 9, 30-37)
En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger. Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »
Homélie
Laissez-moi commencer mon homélie avec deux situations vécues.
1 À chaque rentrée scolaire, il est question de réforme.
À ce propos, je me souviens du lancement de l’enseignement rénové.
L’idée était alors de mettre l’élève au centre de la communauté scolaire. Non pas seulement comme objet des préoccupations de tous, mais comme sujet à part entière. Pas seulement l’élève brillant, appelé sur l’estrade à recevoir son prix ou sa médaille d’or, mais chacun, quelles que soient ses aptitudes et sa personnalité.
Dans la perspective de l’enseignement rénové, la hiérarchie et les classements ont changé de signification. J’ai alors entendu certains enseignants et parents dire : « Les jeunes aiment l’élitisme. Cela se voit dans les sports de compétition. Ils sont coachés pour apprendre à lutter en vue d’être mieux classés. Avec ce type d’enseignement, vous allez les démotiver. Et surtout, – argument suprême – : C’est un nivellement par le bas ! »
2 Après une compétition de jogging à Rochefort l’an dernier, la responsable remet les prix aux coureurs comme cela se pratique après chaque course. Oh surprise ! Elle appelle en premier sur le podium la dame ayant franchi la ligne d’arrivée la dernière après un immense effort. Elle est mise à l’honneur et applaudie par l’ensemble de la salle.
Mais ne nous voilons pas la face. Ce besoin d’une hiérarchie écrasante, élitiste existe bel et bien. Il est de tous les temps, déjà il y a deux mille ans. Les apôtres traversaient la Galilée. L’atmosphère était lourde. Ils sentaient l’étau se resserrer. Jésus venait de leur dire qu’il allait être tué.
Ils ont eu peur de l’interroger davantage. Mais ça ne les empêchait pas de penser. Et de parler, tout bas. Car, si Jésus venait à disparaître, qu’allait-il se passer ? Qu’allaient-ils devenir eux les apôtres ?
Peut-être se demandaient-ils qui allait le remplacer à la tête de leur groupe. Il faudrait quelqu’un de vraiment fort, puisque Jésus lui-même ne parvenait pas à éviter d’être livré à la justice religieuse juive. Et, tout en marchant, ils se sont regardés : « qui était, parmi eux, le plus grand ? »
Jésus n’était pas naïf. Il se doutait bien de ce dont ils avaient discuté entre eux. D’ailleurs, Jésus se rendait compte que les apôtres ne voulaient pas cette nouvelle manière de vivre. Il avait même rabroué Pierre parce qu’il ne souhaitait pas que Jésus aille jusqu’au bout de son message d’amour. (texte de la semaine dernière)
Aussi, dès qu’ils furent arrivés à Capharnaüm, une fois à la maison, Jésus a mis les pieds dans le plat : « De quoi discutiez-vous donc en chemin ? » Gênés, rougissants, ils n’ont pas osé répondre.
Alors Jésus décida de s’exprimer autrement. Avec les apôtres, il forma un grand cercle et tous se sont assis. Ainsi pas de haut ni de bas, pas de sommet ni de base, pas de premier ni de dernier. Pas de classement ni de podium. Pas de hiérarchie écrasante. « Si quelqu’un veut être le premier, dit-il, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Puis Jésus prit un enfant, l’embrassa et le plaça au milieu du cercle. Derrière cet enfant, il y a tous les petits du monde, ceux qui apprennent et parfois ratent, ceux qui porteurs d’un handicap. « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. » Voilà le plus grand. » dit Jésus.
Dès lors les apôtres ont repris la route. Et ce fut la Judée, puis Jérusalem, le calvaire, la croix. Et lui, Jésus, il est là, les bras étendus, exposant son cœur, donnant son sang, pour que vivent ceux qui sont crucifiés comme lui. Et l’Église naissante fera cercle autour de Lui, sans autre hiérarchie que le service et l’amour.
Mais, régulièrement, le cercle s’est brisé, quand la tentation du pouvoir pyramidal, de la force, de la gloire fut la plus forte. Mais toujours, d’âge en âge, des prophètes, des saints, des conciles, des synodes se sont levés pour reformer le cercle d’une Eglise humble. Et, à chaque fois, Dieu a remis l’enfant au centre. Et avec lui tous les crucifiés du monde. C’est son nivellement à lui : par le haut.
Inspiré d’une plaquette de l’Abbé Dubois Louis
Fernand STREBER
P’tit rawett’ – ON EST TOUJOURS LE PETIT DE QUELQU’UN D’AUTRE
Celui qui veut se faire aussi gros qu’un bœuf, qu’il soit grenouille ou homme, est souvent parfaitement ridicule.
Un jour, la lune enivrée de sa beauté dans un superbe paysage du Grand Nord, paysage légèrement bleuté, silencieux et calme…, la lune donc, disait d’une voix flûtée et coquette:
« Ne suis-je pas la plus belle ? Tant d’hommes m’admirent. Tant d’hommes ont besoin de moi pour rêver. Ne suis-je pas même plus grande que le soleil? »
Là-bas, au bout du paysage, près de l’horizon d’un gris sombre, un lac lui répond d’une voix nette et cristalline:
« Pas du tout! C’est moi qui suis plus grand. Plus grand que le soleil, plus grand que toi. Vois, je suis capable de te refléter et il y a encore beaucoup de place. »
L’échange vire bientôt à la dispute. Au diable les voix flûtées et cristallines. Ils s’injurient et leur vacarme réveille un petit rongeur qui sort de son terrier, écoute, comprend et part d’un rire qui a pour effet d’arrêter la querelle.
Le rongeur continue à rire. Des larmes lui viennent, il ferme un œil et finit par dire :
« Je vous vois tous les deux ! Un œil suffit à vous contenir l’un et l’autre! »
Puis il reprend son sérieux.
« C’est moi le plus grand », dit-il.
Une chouette passait par là. Elle l’entend, plonge et le dévore. Son cri hachure la nuit:
«C’est mon estomac qui est le plus grand puisqu’il contient le rongeur et son œil et le lac et la lune.»
Pierre Paul DELVAUX
extrait de « Il était une foi (tome 2) édité par A. VERVIER et F. STREBER ; CRJC, Liège